Un jour ouvrable by Inconnu(e)

Un jour ouvrable by Inconnu(e)

Auteur:Inconnu(e) [Inconnu(e)]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2013-01-16T19:13:44+00:00


La soirée

C’est moi, oui.

Pour le lui prouver, je lui enserre le poignet, je l’entraîne dehors, je serre, j’ai la sensation de lui faire l’amour en marchant, tellement sa peau me rentre dans les doigts. Pour elle, comme pour moi, on pourrait jurer que cette rencontre est le dernier espoir de transfuser des secondes dans les heures à venir, de l’imprévisible dans le quotidien, des balbutiements dans la lucidité. Je la coince contre une façade, je m’enfonce dans sa présence, nos doigts et nos paroles nous griffent au ralenti.

— Il y a si longtemps, lui dis-je.

— Pour moi aussi c’était long. Tu n’as pas téléphoné cette année.

— Je t’ai appelée plusieurs fois pourtant.

— Je n’étais pas là, je ne suis pas toujours là.

— Tu répondais pourtant au téléphone chaque fois.

— Je sais, mais je n’étais pas là quand même. Le téléphone, ça ne veut rien dire.

— Tu m’as si souvent parlé sans être là.

— Tu t’en souviens ? Te souviens-tu comme les cris de nos nuits effrayaient les oiseaux de l’aube ?

— Les cris de nos nuits ? Mais nous n’avons jamais fait l’amour ensemble…

— Jamais, vous croyez ?

— Jamais. Nous appartenons à l’avenir uniquement.

— Tu es mon plus beau souvenir non vécu.

— Je voudrais te vivre, te jouer en trois sets gagnants, te doubler à la voile par vent arrière, te nager en cent mètres crawl, te prendre ensuite alors que tu ne serais plus que cris et eau.

— Je me sens couler, je coule en moi, je ne suis plus que noyade.

Le soir tombe, le rideau tombe, Braise me tombe, je tombe lentement en elle ; déjà sa robe disparaît dans sa peau, avalée, sucée ; ses mains me déchirent, son sexe l’avale tout entière avec la voracité d’un fauve. Tout ce qui est fin de journée, avenir et mirages futurs se dissout en Braise. Tout ce qui est terreur et lucidité se dissout en moi dans la brûlure que je ressens. Ma main enfin repousse Braise au ralenti, se rive de nouveau à son poignet.

— Viens, lui dis-je.

Braise reste soudée à la façade. Elle se recompose. Sa robe la sculpte à nouveau. Son visage reprend ses droits et ses traits d’extérieur. Son corps se givre et se galbe.

— Ce soir, c’est impossible, me dit Braise d’une voix égale.

— Impossible ? Un imprévu, peut-être ?

— Exactement. C’est ma mère. Elle est au plus mal.

— Je croyais qu’elle était morte il y a cinq ans ?

— C’est une autre. Téléphonez-moi demain matin sans faute.

Mes doigts s’ouvrent et lâchent prise. Je laisse échapper Braise à tout jamais. Je ferme les yeux. Quand je les rouvre, Braise a disparu. Il n’y a plus qu’un mur gris devant moi. Il faut revenir aux réalités. Y revenir pour mieux les fuir. Oublier, oublier. C’est pour cette unique raison que la vie nous a été donnée, non ? Pour oublier. Pour trouver des moyens d’oublier. Braise perdue, les bureaux fermés, le reste hors d’atteinte, il ne reste plus guère que la débauche pour gagner l’oubli.

Soit.



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